Après avoir été perçu comme le porte étendard d’un Internet libre, citoyen et  accessible à tous,  les temps changent vite  pour Google qui doit désormais faire face à des campagnes de Google bashing  de la part de ses concurrents et dans les médias internationaux. Un peu partout dans le monde et pour des raisons aussi différentes que ses  nouveaux services, sa  politique de défiscalisation de ses revenus ou le respect des data privacy, en 2014, la fronde anti Google bat son plein.

 

Google, une puissance mondiale

Il faut dire qu’en seulement l’espace de 15 ans, la société est devenue une véritable puissance mondiale pesant 251 milliards de dollars et disposant d’une réserve de cash de 56,5 milliards de $ en janvier 2014. Ses capacités à tout surveiller, à  collecter puis analyser chaque jour des milliards de données  transforment chaque jour  Google un peu plus en un ogre tentaculaire dont tout le monde se méfie. Une société en décalage complet avec l’image et le slogan  qu’elle  diffuse officiellement « Rendre accessible l’information au plus grand nombre ».

Même à San Francisco, Google commence à  exaspérer  les populations.

Dans la  Silicon Valley  où siège Google et la majeure partie des groupes internet US (E-bay, Facebook, Intel, Cisco, Yahoo…) la révolte gronde contre les « techies ».

C’est ainsi qu’on désigne les employés de ces grands groupes à fort pouvoir d’achat. Pour accueillir et loger ces hordes de jeunes branchés internationaux, les propriétaires Californiens n’hésitent plus à expulser les locataires en place et faire grimper très vite le prix des loyers pour profiter de cette nouvelle manne.

« Google profite de la ville sans lui rendre ce qu’elle lui a donné »

Autre exemple récent, les habitants de San Francisco supportent de moins en moins de voir passer des bus rutilants transportant les employés de Google vers Mountain View  en empruntant au passage les lignes régulières et en profitant des arrêts mais sans reverser la moindre redevance à la ville.

Du jour au lendemain, des centaines d’employés ont été propulsés au rang de millionnaires avec l’entrée en Bourse de Facebook et de Twitter créant un fossé de plus en plus grands entre eux et les locaux. Enfermés dans leur campus, ils s’éloignent des préoccupations locales et leur pouvoir d’achat semble ne pas assez profiter  aux commerçants des centres villes situés proximité de la Silicon Valley.

 

 

 

Google un danger pour  les emplois des acteurs internet nationaux ?

Plus proche de nous, en France  une étude du cabinet PNC estime que d’ici 2017, les activités nouvelles de Google en matière de e-commerce pourraient provoquer la disparation de 4 000 à 12 000 emplois parmi les salariés de nos sociétés internet.

L’étude démontre que la stratégie de Google s’apparente  « à une logique de prédateur »qui « pousse son avantage de méga leader du net pour organiser le commerce du monde en avançant masqué »,

Selon l’étude,  25 % des agences de voyages en France sont amenées à disparaitre et tous les acteurs du web (aussi bien les pure players que les cross canal qui disposent de réseaux physiques) vont connaitre de sérieuses zones de turbulences dues directement à Google.

La raison ? Les services comme Google Flights (comparateur de vols secs entre les différentes compagnies aériennes) qui vient directement concurrencer des acteurs historiques du web comme Go Voyage ou Opodo en France sans parler des  simples comparateurs comme Twenga ou LeGuide qui se voient tout simplement couper l’herbe sous le pied par Google et sa capacité à générer du trafic vers son  nouveau service.

Google Shopping met en danger les sites de e-commerce traditionnels

Google est depuis longtemps sorti de son simple rôle de moteur de recherche. Il est   devenu un acteur incontournable qui prélève un péage de plus en plus élevé sur tous ceux qu’il référence. Selon l’étude PNC, « Désormais, le moteur de recherche organise des enchères d’accès aux consommateurs pour les entreprises et opère comme une boutique en ligne ». Gare à la chute de chiffre d’affaires pour  les e-commerçants où pour les compagnies aériennes qui ne paieront pas Google pour y référencer leurs produits. Les médias qui ont osé tester un déférencement de Google news pour protester contre l’hégémonie que prenait Google en matière d’actualités sur Internet l’ont vite compris en réintégrant très vite la page d’accès à l’actualité utilisée par des millions d’internautes.

Et pourtant Bruxelles n’inflige pas d’amende pour position dominante

Selon le JDD du 9 févier 2014, « Trois années d’enquêtes et de tractations et, à l’arrivée, une victoire pour… Google. Le 5 février, la Commission de Bruxelles a annoncé avoir conclu un accord à l’amiable avec le moteur de recherche. Elle aurait pu lui infliger une amende de 6 milliards de dollars. Poursuivie pour abus de position dominante par ses concurrents du search, la firme américaine s’en tire à bon compte : elle proposera les services de trois concurrents au même niveau que les siens sur la page des résultats. Le remède obtenu par Bruxelles met en rage les plaignants qui redoutent de devoir se disputer aux enchères les trois places aux côtés des produits maison du géant du Net. La mise au pas des e-monopoles attendra ».

 

L’or noir de Google c’est le contrôle des données

Outre son image qui se détériore, l’autre gros souci de Google est étroitement lié à ses activités de stockage et de traitement de données.

Début janvier 2014 et après deux ans de procédure, Google s’est vu octroyée par la CNIL une amende record de 150.000 euros (montant maximum fixé par la loi française). En cause,  sa politique de confidentialité des données jugée non conforme à la loi Informatique et Libertés.

Le problème remontait à 2012 avec la fusion d’une soixantaine de règles d’utilisation en une seule, regroupant les informations de services jusqu’alors indépendants comme Gmail ou le réseau communautaire Google+.

Selon la CNIL, Google se livre  à une « collecte déloyale » d’informations d’internautes n’ayant pas de compte Google et ignorant que les sites sur lesquels ils naviguent transmettent des informations.

A priori difficile de donner tort à la  Cnil

L’écosystème numérique composé par les grands portails web ainsi que par la multitude d’applications mobiles et la kyrielle de services qu’ils proposent  se fonde de plus en plus sur la capacité à stocker et à analyser les données fournies par les internautes et les mobinautes sans d’ailleurs que ces derniers  en soient vraiment conscients.

Une fois rassemblé et agrégé par des acteurs comme Facebook ou Google, cette valeur ajoutée de la donnée leur permet d’en tirer, sous couvert de services gratuits,  l’essentiel de leurs revenus actuels via la publicité et le profiling ciblé.

A terme, on imagine mal comment la CNIL pourra lutter contre cette tendance de fond sur laquelle l’économie numérique repose de plus en plus.  L’amende de 2014 semble bien dérisoire comparée au 50 milliards de $ de CA réalisé par Google en 2013.

La menace semble néanmoins  être en passe de s’internationaliser. A l’exemple de la France, d’autres nations européennes  avaient déjà infligé des sanctions financières à Google  (Pays-bas et Espagne) pour opacité dans la politique de collecte des données personnelles.

A un niveau plus institutionnel  le G29 (sorte de regroupement de CNIL européennes) commence à réfléchir  à des sanctions plus lourdes que celles appliquées localement.

Pour sa défense, Google déclare être en règle avec  les lois européennes , en cours de révision et sujette à un lobbying intense des géants américains du Net, qui ne souhaitent évidemment pas voir disparaître les pratiques de  la collecte large de données ou leur croisement sur lesquelles elles ont fondé leur succès.

 

 

Le point noir de la défiscalisation des revenus de Google

Le dernier  point de friction entre la firme californienne et les états où il opère est fiscal.

Partout, Google est soupçonné de minimiser systématiquement ses revenus en pratiquant une stratégie d’optimisation fiscale à travers ses diverses filiales, notamment via l’Irlande pour la France.

La subtilité de l’américain est de ne déclarer en France qu’un faible chiffre d’affaires (moins de 150 millions d’euros en 2013) en affirmant facturer les liens sponsorisés de son moteur de recherche depuis l’Irlande où les taux d’imposition son beaucoup plus bas.

Cela a permis à la société de n’acquitter qu’un faible montant d’impôt sur les bénéfices de 5.5 millions d’euros au titre de l’année 2011.

En réalité en réalisant en France un chiffre d’affaire estimé à 1.44 milliards d’euros en 2013 (soit 10 fois plus que sa propre déclaration  au fisc), Google s’est attiré les foudres de Bercy qui s’apprête à redresser la société pour un montant de 1 milliard d’euros (source le Point 04 février 2014).

Cela va vraisemblablement donner des idées au ministère des finances des autres pays comme la France qui cherchent par tous les moyens à réduire leur déficit budgétaire chronique.

Leur argument reste recevable, comme pour les lignes de bus de San Francisco, les grands acteurs de l’internet profitent des infrastructures réseaux existants dans les pays industrialisés pour développer leur business mais ils ne participent que très peu à la construction et la maintenance de ces réseaux. Il semble donc normal qu’ils y contribuent  par une imposition en rapport avec leurs gains.

Après Google, c’est d’ailleurs l’ensemble des acteurs mondiaux d’Internet opérant en France qui pourraient rembourser des centaines de millions d’euros à Bercy. Car d’autres contentieux engagent en effet Amazon, Facebook, Apple…

 

« Les élites des entreprises technologiques vont rejoindre les pétroliers et les banquiers au rang de démons »

En conséquence c’est l’image de Google qui est  de plus en plus décriée et cela malgré un marketing et des campagnes de communication axé sur la bienveillance et l’ouverture. Google va devoir désormais  revoir son attitude et sa stratégie de communication s’il ne veut  pas faire subir au secteur de l’internet ce que d’autres secteurs d’activités plus traditionnels  tels que la banque ou le pétrole ont connu avant eux aux Usa et dans le monde « Les élites des entreprises technologiques vont rejoindre les pétroliers et les banquiers au rang de démons », a ainsi prédit The Economist début 2014.

 

Brice Nadin

Digital Consult France

Juin 2014

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