Certains d’entre vous le savent : en dehors de mon métier de consultant IT, je suis également auteur de fictions historiques. Mon premier roman, Les étoiles d’Orion – Cluny 1095, publié en septembre 2019, plonge le lecteur dans les aventures de moines copistes en plein Moyen Âge, à la veille de la première Croisade. Depuis cette première publication réussie (plus de dix mille lecteurs en cinq ans), l’écriture est devenue bien plus qu’une passion : elle s’est transformée en une seconde activité. Pour mieux diffuser mes œuvres, j’ai ainsi créé ma propre maison d’édition, Les éditions Leo, et publié depuis deux autres romans, dont le dernier, L’oracle de Constantinople 1097, en février 2024.
Ecrire un roman, en particulier une fiction historique, est une aventure exigeante et immersive : il me faut en moyenne deux ans pour mener à bien un projet, tant pour élaborer une intrigue réussie que pour effectuer les recherches documentaires approfondies qui nécessitent de nombreux déplacements sur les lieux même de l’intrigue.
Ce parcours d’écrivain et mon appétence pour les innovations technologiques m’a naturellement amené à m’intéresser de près aux avancées de l’intelligence artificielle (IA) dans le domaine de la littérature et à me poser la question suivante :
Jusqu’où peut aller l’IA en matière d’écriture de fiction ?
De prime abord, le constat semble implacable. L’IA générative est déjà largement utilisée pour rédiger intégralement chaque jour des centaines de nouveaux ouvrages. Selon un article du Monde de décembre 2023, la déferlante de pseudo auteurs qui publient des centaines d’ouvrages entièrement réalisés par IA est devenue, au fil des mois, un tel phénomène qu’Amazon lui-même s’est résolu à tenter de l’endiguer.
Certains auteurs qui officient derrière des pseudos tel qu’Allan Trevor ont ainsi réussi le tour de force de publier plus de mille ouvrages sur Amazon dans différentes langues et dans des domaines aussi variés que la cuisine, l’astrologie, les ovnis où les animaux de compagnie. Pour limiter les abus, la multinationale a chassé ces faux écrivains et a abaissé à trois titres par jour le nombre de publications autorisées par un même auteur.
Si ce quota semble toujours sidérant, il reflète une triste réalité : les livres générés à 100% par l’IA sont désormais une réalité et se mêlent sans aucun signe distinctif à ceux qui ont été créés par de vrais auteurs au prix d’un vrai labeur. Un bon marketeur qui sait repérer les tendances à la mode pourra ainsi programmer une IA et sortir en quelques heure à peine un bouquin de 200 pages. Une publicité ciblée autour de mots-clés, une couverture et un titre accrocheur feront le reste et généreront de substantiels revenus à son initiateur.
Que vaut réellement un livre écrit avec l’IA ?
Pas grand-chose, dès lors qu’on s’intéresse un peu au fond. Un sommaire bien structuré et des titres accrocheurs peuvent faire illusion et les lecteurs croire qu’ils ont dépensé 10 ou 20€ à bon escient. Mais comme ces contenus sont publiés en quelques clics et sans relecture, ils sont parsemés de fautes de syntaxe ou de grammaire. Il faut aussi comprendre que les IA disponibles sont toutes alimentées et entraînées par un corpus de données humaines qui ont été au préalablement triées, normalisées, et organisées. Elles ne créent donc pas en l’état des textes innovants mais nous proposent une sorte de recyclage de contenu en continu qui pourrait être qualifié de sorte de littérature circulaire sans aucun relief. Faute de qualité, les lecteurs ne sont pas dupes et laissent des avis de clients déçus. La note du livre se dégrade et à partir d’un certain seuil, le livre est retiré de la vente sur la plateforme. Avant d’être republié sous un autre nom et une autre couverture. Avec l’IA, on n’est pas dans la création… on est dans le business.
Pour endiguer le phénomène et protéger les vrais auteurs contre la déferlante de pseudo ouvrages, certaines plateformes d’autoédition comme le français Librinova (que j’utilise pour la diffusion numérique de mes romans) propose depuis peu de labelliser leurs œuvres afin de valoriser leur processus créatif et intellectuel auprès des lecteurs comme des professionnels. Le Label Création humaine a ainsi été créé et permet de se différentier dans la masse des publications internationales. Il repose sur un processus en 4 étapes et permet de certifier qu’un ouvrage a été conçu, développé et créé par le travail ardu, intentionnel et motivé de son auteur.
L’IA commet des erreurs étonnantes alors que nous pensons qu’elle est omnisciente.
Mais le problème majeur est que la plupart de ces outils ne sont pas fiables alors qu’ils nous paraissent certains de leur fait. Je me suis livré à un petit test afin de mesurer les capacités de l’un d’eux en matière de scénarisation de fiction historique. Je me suis placé dans la peau d’un auteur en manque d’imagination qui veut utiliser l’IA pour créer son intrigue. Voici les consignes que j’ai donné et les réponses que j’ai obtenu :
Brice Nadin : Peux-tu me proposer un synopsis de roman historique qui aurait pour cadre Cluny en 1095 ?
IA : Absolument ! Voici quelques synopsis de roman historique que vous pourriez développer, tous ayant pour cadre Cluny en 1095 :
L’IA me propose à alors trois synopsis détaillés en rapport avec ma demande. La seconde proposition attire immédiatement mon attention.
IA : Synopsis 2 : Le Secret de l’Abbaye
Résumé : Une jeune novice, Éléonore, arrive à Cluny. Intriguée par les mystères qui entourent l’abbaye, elle découvre d’anciens manuscrits cachés dans la bibliothèque. Ces textes révèlent l’existence d’un trésor inestimable, convoité par des puissants seigneurs. Éléonore se retrouve alors au cœur d’une intrigue complexe, où se mêlent religion, politique et cupidité.
De prime abord le scénario semble prometteur. Il reprend les codes qui font le succès des fictions historiques. Une héroïne jeune, la prestigieuse abbaye de Cluny, des manuscrits anciens, un trésor caché et convoité par des puissants… Tout y est ! Pourtant, un détail important me heurte car dans cette proposition une grave erreur historique s’est glissée. Je m’empresse de la signaler :
Brice Nadin : Le synopsis 2 est intéressant mais il n’y avait pas de femmes novices à Cluny en 1095. C’est une abbaye réservée exclusivement aux hommes.
IA : Vous avez tout à fait raison ! C’est une erreur historique de ma part d’avoir introduit une femme novice à Cluny en 1095. Les abbayes bénédictines, comme celle de Cluny, étaient en effet exclusivement masculines à cette époque. Voici une proposition révisée du synopsis 2, en conservant l’intrigue du secret tout en respectant le contexte historique.
Une erreur aussi grossière vaudrait un zéro pointé à n’importe quel élève de troisième. Elle a pourtant été commise par un outil dont la mise au point a coûté à son éditeur plusieurs millions de dollars… Les IA semblent donc se nourrir des tonnes de contenus qui fleurissent sur Internet en englobant aussi les erreurs qui y foisonnent. En matière de documentation historique, la règle d’or reste pourtant de vérifier ses sources et de les croiser en n’utilisant que des contenus issus de sites légitimes.
Ce qui manque surtout à l’IA est ce qui fait le propre d’un vrai roman : créer de l’émotion.
Après quelques nouveaux essais, le constat est accablant, les textes générés par l’IA (dialogues, descriptions…) sont fades et sans saveur. Une bonne intrigue, même si elle présente beaucoup de rebondissements ne suffit pas à écrire un bon livre. L’art de raconter des histoires est aussi ancien que l’humanité elle-même et c’est bien cet aspect humain qui fait toute la différence. À travers les âges, les récits ont été utilisés pour transmettre des connaissances, des valeurs et surtout des émotions. C’est l’émotion qui fait qu’une histoire résonne vraiment avec ses lecteurs et qu’elle va nous captiver et nous toucher profondément.
L’Impact de l’Émotion dans la narration va bien au-delà des mots ; elle touche à l’expérience humaine. Elle peut être suscitée par l’atmosphère singulière qui se dégage de certaines scènes mais aussi par la construction des personnages qui sont les vecteurs principaux des émotions. Ils doivent être crédibles, complexes et capables d’évoluer. John Steinbeck, dans Les Raisins de la colère, excelle ainsi à créer des personnages profondément humains et touchants.
« Les hommes vont et viennent, ils ont des désirs et des faiblesses, des rêves et des espoirs. C’est ça qui fait leur humanité », écrit Steinbeck.
C’est l’humanité d’un auteur qui fait la force de ses écrits. Les vrais auteurs n’ont aucun souci à se faire, ils ne seront pas remplacés de sitôt.
Brice Nadin
Pour retrouver mes romans écrits sans IA sur Amazon :