La guerre technologique et économique fait rage entre les géants du numérique. En 2015, Google, Apple et Samsung vont désormais s’affronter dans le domaine convoité des données de santé et du Mobile Health. Avec l’annonce de son Healthkit « Sami » des avril 2014, Samsung semblait vouloir prendre de vitesse ses principaux rivaux en jouant les premiers rôles en la matière. Où en est le géant Coréen 8 mois plus tard dans son approche de la santé connectée et comment Samsung se situe-t-il dans cette course par rapport à ses principaux rivaux US que sont Google et Apple ?
Hormis les geeks et les journalistes spécialisés , qui a entendu parler du Healthkit Samsung Sami ?
Avec la sortie ultra médiatisée de l’iPhone 6 et de l’ application Health couplée à iOS 8, Samsung a au moins déjà perdu face à Apple, la bataille de la communication autour de la santé connectée. Paradoxalement l’acteur Coréen est déjà bien présent dans ce domaine en truffant ses principaux terminaux de capteurs de données physiologiques.
Acte 1 : capteurs in or out ?
Premier trimestre 2014, avec l’explosion de la tendance du Quantified Self et la multiplication des objets connectés dédiés à la santé, Samsung est bien le premier constructeur de smartphone à équiper son nouveau Galaxy S5 d’un cardiofréquencemètre piloté par une application dédiée baptisé S Health.
Ce choix est doublement judicieux : la fréquence cardiaque est la plus mesurée des données biologiques. C’est donc le capteur qui peut toucher le plus grand nombre. De plus, choisir de l’introduire dans le smartphone c’est conserver la valeur ajoutée dans le terminal et éviter ainsi un déplacement de valeur vers l’univers des périphériques connectées où la concurrence s’annonce très rude.
N’oublions pas que le modèle économique de Samsung reste la vente de produits finis et qu’en la matière, le marché des smartphones est très important dans la stratégie du géant Coréen. En 2014, malgré une concurrence mondiale de plus en plus agressive, le mobile représente toujours en 2014 plus de la moitié des ventes et des profits de Samsung Electronics.
Malheureusement pour Samsung, le S5 et son capteur intégré n’ont pas vraiment fait recette : les ventes sont décevantes par rapport au S4 et la firme asiatique doit faire face au niveau mondial à un recul de ses parts de marché de smartphones de 32 % à 25 % sur un an (mai 2013 à mai 2014 ; source IDC). Pour relancer ses ventes de mobile, Samsung mise désormais sur sa nouvelle Phablet : le Note 4 . Résolument haut de gamme, il va encore plus loin que le S5 en matière de santé connectée en embarquant un capteur d’ultra violet en plus du cardiofréquencemètre. Mais avec un prix annoncé supérieur à 700 €, ce smartphone correspond-il aux attentes d’un marché déjà bien saturé dans les pays industrialisés ?
Paradoxalement, Samsung fabrique également des objets connectés dédiés au secteur du bien-être et de la santé. Ainsi et bien avant Apple, la firme commercialise déjà des montres (Gear, Gear 2 et Gear Néo,) et des bracelets (Gear Feat). Les septiques diront que ces objets très variés risquent de se cannibaliser entre eux ou de faire chuter la vente des smartphones haut de gamme embarquant déjà des capteurs similaires.
Acte 2 : la guerre des Healthkit et des données de santé
Le 28 mai 2014, soit 5 jours avant l’annonce par Apple de son Healthkit et lors d’une conférence se déroulant à… San Francisco, Samsung annonce « Sami » pour Samsung Architecture for Multimodal Interactions. http://www.samsung.com/us/globalinnovation/innovation_areas/.
Pour Sami, Samsung s’est entouré de nombreux experts du domaine comme l’Université de Californie à San Francisco ou encore l’institut de micro-électronique et composants (IMEC) qui est notamment spécialisée dans les capteurs en tout genre.
Il s’agit pour Samsung de proposer une place de marché de la santé connectée ouverte à tous les acteurs. Le constructeur coréen a choisi de mettre les données au centre de son Healthkit via une place de marché de données médicales alimentée par les utilisateurs au travers d’applications santé compatibles avec Sami. L’idée finale est de permettre aux développeurs la création d’applications santé intelligentes capables d’interpréter les données anonymes qui transitent sur la plate-forme et de prendre en compte des paramètres tels que l’environnement spécifique des utilisateurs (situation géographique, dates d’enregistrement, météo locale…).
Sami est associé à un bracelet connecté baptisé Simband. Il ne sera jamais donc commercialisé car il s’agit d’un design de référence sur lesquels les fabricants de bracelets ou de capteurs pourront se baser pour développer leurs propre produits. Samsung veut ainsi tenter d’imposer un concept de « bracelet standard » sur lequel viendraient se positionner différents capteurs.
Malgré cette belle promesse et des investissements conséquents, Samsung a pris du retard par rapport à ses rivaux Apple et Google dont les systèmes Health et Google Fit sont dès à présent fonctionnels et comptent déjà plusieurs applications « bien être » opérationnelles et disponibles sur Apple store et Google Play à début décembre 2014. Samsung pourrait être également rejoint par d’autres grands acteurs américains et notamment IBM et son programme d’intelligence artificielle Watson, utilisé par de nombreux hôpitaux américains comme aide au diagnostic médical.
Pour ces acteurs, l’objectif est le même : Construire le plus rapidement possible un écosystème ouvert capable d’attirer des éditeurs d’applications mobiles, des constructeurs d’objets connectés, des professionnels de santé agrées, ainsi que des partenaires commerciaux pouvant profiter des informations récoltées comme les assureurs.
Ces derniers vont vraisemblablement être les premiers acheteurs de ces données. En France Axa a par exemple annoncé récemment qu’il offrirait un capteur PulseO2 à certains de ses clients et que les utilisateurs qui enregistreraient les meilleures performances pourraient bénéficier de remises financières sur leur contrat. Aux USA, Apple discuterait depuis fin aout 2014 avec 2 grandes mutuelles américaines, UnitedHealth et Humana (selon Bloomberg) et imagine déjà un monde dans lequel nos « performances » liées à notre santé aura un impact sur le prix de notre assurance santé.
Samsung pourra-t-il gérer facilement un modèle économique de plus ?
Pour Samsung, en 2015 la priorité risque pourtant d’être ailleurs que sur l’analyse prédictive et la vente de données de santé. Sur le marché des smartphones où il est le leader mondial, il est désormais attaqué de toute part. Sur le bas et le moyen de gamme, les constructeurs chinois et asiatiques comme Lenovo, Huawei, LG et HTC sont devenus très agressifs. Sur le haut de gamme, Apple règne toujours en maître et Samsung est loin d’afficher la rentabilité de l’Américain. La trajectoire de Samsung qui vient d’annoncer des pertes conséquentes (chute de 60% du bénéfice d’exploitation au troisième trimestre 2014) pourrait rappeler rapidement celle de Nokia. La liste des faiblesses de Samsung correspond à celle des forces avérées d’Apple : absence d’une plateforme logicielle maison (iOS), absence de contrôle sur un écosystème de contenus et d’applications (Apple Store), volonté de vouloir couvrir trop de segments, d’être présent sur le marché des objets connectés complexes et multiples, sur celui des OS mobile maison (Tizen) mixés avec un partenariat controversé avec l’OS Android du concurrent Google.
On voit mal dans ce contexte difficile comment le groupe pourrait rajouter à tout cela une activité d’analyse prédictive de données de santé où les modèles économiques seront différents de la vente de produits finis et où les contraintes s’annoncent redoutables ( notamment celles liées à la sécurisation et à l’exploitation juridique des données personnelles).
Samsung de part sa culture de grand groupe industriel très hiérarchisé reste aux antipodes d’un acteur comme Google qu’on voit beaucoup plus percer sur ce marché très spécifique de la vente de données qualifiées. Google malgré sa taille croissante a su rester en mode start-up au niveau décisionnel. Contrairement à Samsung, il est capable de se réinventer tous les 2 ans en utilisant la croissance externe pour acquérir quasi instantanément les compétences et les technologies nécessaires aux changements de modèles économiques sans cesse imposés par la révolution industrielle digitale en cours.
Brice Nadin
Digital Consult – Novembre 2014