En marge de la guerre très médiatisée que se livrent les géants du Digital (Apple , Samsung, Google, Microsoft..) pour s’imposer sur leurs marchés respectifs, il existe une lutte beaucoup moins visible mais tout aussi virulente qui se déroule « sous le capot » de nos PC, smartphones ou objets connectés préférés.
Cette guerre industrielle, c’est celle des processeurs. Le processeur ( ou CPU en anglais pour Central Processing Unit) est le composant de l’ordinateur qui exécute les instructions machine des programmes informatiques . Ce véritable cerveau rassemble une grande partie de la valeur technologique de nos produits numériques. Curieusement, malgré leur importance dans le produit final et les colossaux chiffres d’affaires qu’ils génèrent, les fabricants de ces processeurs sont beaucoup moins connus du grand public que les fabricants de PC ou de smartphones. hormis Intel ou AMD dont les logos ornent encore la plupart des PC en circulation, qui connait réellement des sociétés telles que Qualcomm , SK Hynix, ARM voir le français STMicroelectronics ?
A l’origine était Intel !
Depuis leur apparition au début des années 70, l’écrasante majorité des utilisateurs d’ordinateurs individuels grand public n’avaient accès qu’à un seul type de processeurs : la famille des x86, produits principalement par les firmes US Intel et AMD et que l’on retrouve aussi bien chez les fabricants de PC que sur les iMac d’Apple. Mais avec le décollage récent des smartphones et tablettes et l’avènement de l’ère des appareils nomades, on assiste à une transformation radicale de ce marché et c’est une autre famille, les processeurs ARM, qui prend désormais les devants en terme d’appareils équipés et commercialisés dans le monde.
Quelles sont les différences fondamentales entre les architectures ARM et x86 ?
En gros, dans le monde traditionnel du PC où il règne en maître, Intel a tout misé depuis des années sur la puissance et la performance du processeur qui doit avant tout pouvoir proposer de la puissance de calcul. La consommation énergétique induite par cette recherche de puissance n’a jamais été un problème dans la mesure où les PC fixes pouvaient être facilement alimentés électriquement et refroidis par des ventilateurs internes. Avec l’arrivée des smartphones et des tablettes et le déclin annoncé des PC grands public, le géant américain et son rival AMD doivent désormais faire face à un univers informatique où la puissance est de moins en moins importante, compte tenu des tâches moyenne effectuées demandées à une tablette ou un smartphone. En revanche la miniaturisation à l’extrême et la faible consommation énergétique des composantes sont devenus des enjeux vitaux pour ces nouveaux terminaux mobiles.
Ces nouvelles règles du jeu on fait la part belle à la technologie des SoC (System On Chip) qui sont des puces » tout en un » regroupant outre le processeur, de multiples composants permettant la gestion du son, de la vidéo, voir de l’Usb. Par rapport à un ordinateur traditionnel où les fonctions sont exécutées par des composants séparés (CPU, GPU, processeur de son, etc), les SoC regroupent donc tout sur une seule puce.
Même si elles sont beaucoup moins puissantes que leur consœurs d’Intel, les Soc induisent une miniaturisation qui permet à une seule puce dans un smartphone de répondre aux besoins de base du terminal comme par exemple le décodage audio ou vidéo ou de gérer des extra sur des périphériques comme des détecteurs de mouvement et des caméras.
La technologie des SoC a été principalement porté notamment par la société anglaise ARM Ltd qui a développé les architectures ARM. Dotés d’une architecture relativement plus simple que d’autres familles de processeurs, et bénéficiant d’une faible consommation, les processeurs ARM sont devenus très vite dominants dans le domaine de l’informatique embarquée, en particulier la téléphonie mobile et les tablettes.
En 2014, de nombreux systèmes d’exploitation sont devenus compatibles avec cette architecture : iOS avec l’iPhone et l’iPad, Linux et Android avec l’ensemble des terminaux mobiles embarquant ces OS, Windows phone, Symbian, Blackberry OS mais également le système Playstation.
Un modèle économique en rupture qui fait le succès d’ARM
D’emblée, ARM a fait le pari d’une stratégie commerciale différente d’Intel. La société anglaise a choisit de se différentier en choisissant de ne pas fabriquer de processeurs sous forme de circuits intégrés. En revanche, elle met en vente ses processeurs en mode licence de façon à ce qu’ils soient réalisés par d’autres fabricants. De cette façon, la firme se focalise sur la conception des architectures (ARMv6, ARMv7, ARMv8…) ou de diverses micro-architectures de référence incluant ces architectures (les fameux Cortex) et laissent aux fondeurs (les fabricants de processeurs) le soin de les réaliser. Les fabricants des puces ARM peuvent par exemple acquérir une licence sur l’architecture auprès d’ARM et concevoir leur propre micro-architecture.
Cette stratégie a eu le mérite de rendre le monde ARM très ouvert et concurrentiel, avec plusieurs dizaines de fabricants de puces ARM qui investissent dans ses licences. C’est ce que font des sociétés comme Apple et Qualcomm qui achètent à ARM une licence sur une micro-architecture de référence et l’intègrent avec d’autres circuits pour former un SoC complet. Qualcomm, Samsung, MediaTek, et Nvidia, sont quelques-uns des plus grands fabricants de SoC mobiles. Leurs parts de marché cumulées représentent la grande majorité de toutes les puces de téléphones intelligents et de tablettes, et ils ont tous une chose en commun : leur CPU est basé sur Cortex, une série de processeur ARM.
Actuellement, ARM propose un portefeuille de 1 000 licences, utilisées par plus de 300 sociétés tierces (en croissance de plusieurs dizaines par an) dont la moitié environ fabriquent et revendent eux même à des tiers des puces ARM, avec à la clé un chiffre impressionnant : la production de puces ARM atteint 10 milliards d’unités par an !
Dans le monde x86, en revanche, la conception de l’architecture reste principalement effectuée par Intel. Les ventes de licences sur l’architecture sont beaucoup plus limitées car Intel produit ses propres processeurs et tout fondeur titulaire d’une licence x86 devient un concurrent d’Intel. Ainsi, aujourd’hui seuls deux fondeurs produisent encore des CPU x86 sous licence Intel : AMD et VIA, qui a récupéré la licence de Cyrix en le rachetant.
INTEL sous la menace d’ARM ?
Pire pour Intel, le monde des ordinateurs portables pourrait connaître prochainement une évolution avec le remplacement progressif des processeurs x86 par l’architecture ARM. Windows 8 est compatible avec cette architecture (avec certaines limitations), tout comme Google Chrome OS. L’utilisation de l’architecture ARM devrait y permettre la réduction de la consommation électrique.
Boosté par la nouvelle ère de la mobilité et des objets connectés, on retrouve les processeurs ARM sur une multitude de nouveaux produits innovants : , consoles de jeux fixes ou portables, setup box des FAI, montre connectées..
Par contrecoup, Intel et AMD se préparent à cette concurrence en réduisant la consommation électrique de leurs solutions et en simplifiant leurs architectures, comme avec les Atom et Bobcat, par exemple en intégrant les capacités graphiques avec le processeur. De l’autre côté, les fondeurs des SoC à base d’architecture ARM, comme NVidia et Qualcomm, continuent d’augmenter les performances de leurs puces, par exemple en augmentant le nombre de cœurs ou en ajoutant de nouvelles instructions.
Au final, malgré des philosophies initiales très différentes, les puces ARM et x86 sont donc de plus en plus proches techniquement : les puces ARM haut de gamme se complexifient pour gagner en performances, atteignant désormais les performances de l’entrée de gamme x86, pendant que les puces x86 d’entrée de gamme se simplifient pour gagner en consommation, au point que les plus petits cœurs x86 d’aujourd’hui commencent à approcher la taille des gros cœurs ARM.
Même si ARM a pris une place très significative sur ce marché porté par la révolution des nouveaux terminaux mobiles, il semble très risqué à ce stade d’annoncer une fin prématurée de règne pour Intel et encore moins sa disparition programmée. Intel reste le numéro 1 mondial du secteur des semi conducteurs en 2013 avec un chiffre d’affaires record de 53.3 milliards USD au cours de l’année 2012 (le Chiffre d’affaire d’ARM en 2012 est plus de 50 fois inférieur avec 911 millions USD) . Même si les branches PC et architecture d’Intel se sont montrées moins performantes en terme de bénéfices, Intel a relativement bien encaissé la mutation du marché global de l’informatique vers le marché de la mobilité. Un marché dans lequel la firme a annoncé s’orienter avec beaucoup plus d’investissement par le passé en proposant des architectures spécifiquement dédiées aux tablettes et aux smartphones ( Bay trail et Clover Trail ).
Un chiffre illustre bien la puissance financière dont peut disposer Intel pour s’adapter à cette nouvelle donne. Son budget R&D en 2012 était de 10,2 milliards USD. C’est l’exact somme des chiffres d’affaires cumulés de ses 3 principaux concurrents à savoir AMD, NVIDIA et ARM ( 10,341 milliards USD).
Intel a donc de quoi voir venir et rappelons que si les ventes mondiales de PC baissent, ce marché est loin de s’écrouler.
Même si les analystes s’accordent pour dire qu’Intel est maintenant du mauvais côté du marché de la technologie, gageons qu’Intel saura réagir et rebondir sur les nouveaux marchés qui s’ouvrent et où les technologies évoluent constamment.
Affaire à suivre….
Brice Nadin
Digital Consult France – août 2014
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