Après le CES de Las Vegas en Janvier, l’IFA de Berlin qui se tient à la rentrée de septembre est le plus grand salon High Tech au monde avec 235 000 visiteurs (professionnels et grand public) et 1 645 exposants (chiffres 2014).
L’electro-ménager high Tech en vedette
Pendant 6 jours, les géants du secteur (à l’exception d’Apple) et les start-up High-Tech y présentent leurs nouveautés smartphones, TV, audio et vidéo, Photo, objets connectés et électroménager. Quelles sont les grandes tendances du salon et ses principaux enseignements pour l’évolution du marché de l’Internet des Objets ?
Les objets domestiques quotidien deviennent tous intelligents
La déferlante connectée entrevue au CES 2015 atteint désormais le plus insignifiant de nos objets du quotidien. Après le sport et le bien-être et leur flot de trackers d’activité et de montres et de lunettes connectées ostentatoires, c’est désormais au tour des appareils domestiques de devenir massivement intelligents. Surfant sur la vague IoT (Internet of Things), les professionnels de l’équipement de la maison (électroménager, électricité, éclairage, mobilier, bricolage) proposent à l’IFA des innovations « tendances » mais qui peuvent parfois laisser septiques sur la valeur qu’elles apportent réellement.
Smarthome is beautiful !
Un smartphone pour programmer un four à distance, pour commander son chauffage, pour gérer sa consommation d’électricité ou pour ouvrir la porte à ses enfants…sans avoir recours à aucune installation spécifique. C’est là, la principale révolution que nous démontrent en cette rentrée les grands acteurs de l’électro-ménager et de la domotique.
La généralisation du Wi-Fi et des connexions Bluetooth dans les foyers rend accessible à moindre coût (plus de câblage électrique) toute une série d’innovations technologiques intégrant la plupart des équipements de la maison. S’il faut encore être chez soi pour mettre son linge sale dans une machine, il est désormais possible de la commander à distance via une application qui pourra également piloter un appareil voisin.
C’est la première tendance lourde de l’IFA 2015 : rajouter à un appareil existant une série de capteurs, de puces et de dispositifs pour les commander à distance et les synchroniser entre eux. On trouve pèle-mêle à l’IFA des tables de cuisson équipés de capteurs pour surveiller les plages de températures présélectionnées et identifier les niveaux dans les casseroles, des hottes qui se mettent en route lorsque la table de cuisson est utilisée, des laves linges géants avec écran de 7 pouces tactiles et module Wi-Fi pour pilotage à distance via application mobile ou des frigos intelligents avec écrans vidéos capables de reconnaître des aliments et vous proposer des recettes…
Confirmant une tendance de fond déjà entrevue en janvier 2015 au CES de Las Vegas, (http://blogdigitalconsult.fr/?p=884)
les objets intelligents vont devenir de plus en plus discrets voir se faire oublier complètement en se fondant dans des objets du quotidien.
Pour les fabricants, l’effet connecté est une aubaine. Il permet de faire monter en gamme leurs appareils classiques en leur rajoutant de la valeur et des fonctionnalités se traduisant par une promesse de vendre plus et plus cher. D’autant que les clignotants économiques repassent au vert. Selon GFK, partenaire de l’IFA, les pays touchés par la crise depuis 2008 (USA et Europe de l’ouest) sont désormais en voie de rémission et renoue avec la croissance et la consommation mondiale d’appareils électroniques repart à la hausse.
Cette augmentation de marché est confortée par la généralisation d’une « middle class (Individus disposant d’un pouvoir d’achat compris entre 10 ET 100 USD par jour ; source OCDE) » au niveau planétaire capable d’acheter massivement des biens d’équipement. Les acheteurs potentiels de biens électroniques étaient estimés à 1.8 milliard d’individus en 2010. Ils seront 4.9 milliard en 2030 selon l’OCDE.
Luminothérapie pour fruits et légumes chez Panasonic
Depuis leur apparition, les objets connectés sont associés à des concepts positifs : les wearables nous aident à prendre soin de notre forme, de notre santé et de nos proches. Ils nous aident à faire des économies d’énergie et à veiller sur l’environnement. A l’IFA, les industriels qui présentent de nouvelles gammes de produits intelligents s’installent également dans ces stratégies de « happy technology ». Panasonic présente par exemple un frigo qui surfe sur la vague de l’alimentation saine. IL est équipé d’une technologie baptisée « VitaminLED » permettant de maintenir automatiquement un taux d’humidité idéale et de garantir la fraicheur des aliments grâce à un système de LED de couleurs reproduisant la lumière naturelle et garantissant ainsi la teneur en vitamines des fruits et légumes pour un régime sain et nutritif.
Le Chinois Haier (leader mondial de l’électro-ménager) mise également sur l’inter-connectivité intelligente avec la cave à vin haut de gamme utilisant un système de refroidissement par semi-conducteurs dont le pilotage s’effectue au travers d’une application mobile.
Les capteurs intégrés sont désormais omni présents dans la maison et surtout dans l’électro-ménager grand ou petit. Ils préservent l’environnement en déterminant la quantité optimale de détergent à utiliser pour une machine à laver ou encore selon les préceptes du « slow food » ils déterminent au gramme près la liste des ingrédients nécessaires à la confection d’un pain sur mesure via un « smart bread maker ».
Les miroirs intelligents de Panasonic et Samsung.
Les deux constructeurs illustrent parfaitement le concept de « maison subtilement intelligente » avec des prototypes de miroirs permettant de diffuser des informations contextuelles et personnalisées via une technologie de reconnaissance faciale (conseils beauté/maquillage via analyse de la peau, météo et agenda du jour, infos santé (poids, rythme cardiaque..).
Ces dispositifs déjà présentés en 2014 et optimisés depuis seraient sur le point d’être commercialisés.
Des nouvelles stratégies « d’écosystèmes électroménagers »
Autre tendance de la rentrée 2015 : les fabricants conçoivent et proposent désormais des gammes d’objets domestiques complémentaires, connectés et capables de dialoguer entre eux. Le Chinois Haier présente à Berlin un système de nouveaux produits baptisé « U+ Smart living ». Cet « écosystème » couvre cinq aspects : l’air, les aliments, l’eau, le divertissement et les soins corporels, traduisant « la vie intelligente comme un ensemble de solutions qui peuvent communiquer entre elles et être au service actif des consommateurs ». Ce dispositif peut se connecter aussi bien aux appareils intelligents de Haier (machines à laver, four, tv..) qu’aux terminaux intelligents d’autres marques. Il rompt ainsi avec le schéma actuel selon lequel les différents appareils électroménagers sont déconnectés les uns des autres.
Même son de cloche chez Samsung qui joue également la carte de la gamme complète de produits intelligents à usage domestique avec son concept SmartThings (http://www.smartthings.com/). SmartThings est à l’origine une start-up rachetée par le géant Coréen en août 2014. Il s’agit d’un petit appareil faisant figure de Hub permettant de contrôler et faire communiquer entre eux de multiples objets au sein d’un même foyer (enceintes, éclairage, serrure, thermostat, tv, caméra de surveillance….).
SmartThings est associé à une application mobile, Smart Home Monitor qui offre un contrôle unifié contre les intrusions et les problèmes domestiques (incendie, feu, inondation…) en fournissant des notifications instantanées et des petits clips vidéos captés par la caméra. Vendu 99 dollars aux États-Unis et bientôt au Royaume-Uni, le SmartThings Hub permet également le contrôle d’un nouveau produit Samsung permettant de monitorer son sommeil, le capteur SleepSense. Pour rendre son Smarthings incontournable et prendre de l’avance sur les plateformes domestiques de ses concurrents (notamment Google Home kit), Samsung joue à plein sur l’aspect « ouvert » de sa plateforme et sa compatibilité avec les produits connectés d’industriels de renoms (enceintes Bose, caméras intérieures D-link, ampoules Osram, serrures Yale, thermostats Honeywell…)
Avec cette nouvelle acquisition, Samsung pourra se retrouver sur la même ligne que Google et Apple dans le domaine des objets connectés. Pour rappel, Google avait racheté Nest, une compagnie américaine spécialisée dans la domotique alors qu’Apple avait lancé sa propre plateforme domotique nommée HomeKit. Les industriels présents ont tous compris qu’une véritable guerre économique va s’engager autour de ces nouveaux objets connectés domestiques. Leur interopérabilité va devenir un critère d’achat incontournable et malheur aux fabricants qui proposeront des objets connectés indépendants et non capables de communiquer avec d’autres systèmes.
La guerre des protocoles d’interropabilité de l’IoT
Afin de faciliter le dialogue et l’interaction entre toutes les familles d’objets, plusieurs acteurs majeurs ont décidé de prendre les choses en main et de monter des groupes qui se chargeront de définir des normes et des standards « open source » pour l’internet des objets. Plusieurs groupes coexistent déjà au sein desquels le recrutement d’acteurs majeurs bat son plein. C’est notamment le cas du consortium Allseen Alliance qui dispose d’un stand important à L’IFA 2015. Apparu en décembre 2013. Ce groupe dispose d’un standard baptisé Alljoyn qui permet aux appareils de différents constructeurs de dialoguer entre eux. Allseen Alliance recense déjà quelques poids lourds du secteur du Smart home tels que Qualcomm (à l’origine du consortium), Microsoft, LG, Sony, Panasonic, Haier ou Philips (au total on y retrouve déjà plus de 100 acteurs de l’IoT). Mais le monde de l’internet des objets risque rapidement de se scinder en deux voir en 3 ou 4 alliances. D’autres consortiums tentent d’imposer leurs propres normes de certification. C’est le cas de L’Open interconnect consortium (OIC) qui regroupe des acteurs tels qu’Intel, Dell, Samsung, GE, Lenovo ou Cisco (les 2 derniers étant aussi membres d’Allseen!). Avec un peu de retard sur son principal rival l’OIC, vient de publier le framework de son propre standard, baptiséIoTivity. Les produits intégrant ce code source devront être certifiés pour afficher le logo sur leur packaging et assurer leur compatibilité. Les premiers produits labelisés IoTivity sont attendus pour la fin 2015. Techniquement, les 2 standards fonctionnent de la même façon (ils sont tous les 2 Open source et supportent la plupart des modes de connexion (Bluetooth, Wi-Fi, Zigbee…) L’enjeu est donc strictement économique car chaque membre devra s’acquitter d’un coût de licence plus ou moins onéreux pour pouvoir l’utiliser et communiquer autour de la certification. Pour l’heure, il est possible pour les industriels de rejoindre le ou les consortiums de leur choix afin de ne pas mettre tous leurs œufs dans le même panier et en attendant une hypothétique norme commune et universelle.
Le fabricant français de matériel électrique Legrand illustre parfaitement cette nouvelle donne : le groupe français a fait depuis longtemps de la domotique son cheval de bataille en proposant des gammes d’interrupteurs capables de piloter l’ambiance lumineuse d’une pièce. A l’IFA, Legrand s’installe au cœur de l’univers IoT avec des blocs d’éclairage connectés et des onduleurs qui permettent un contrôle à distance de leur fonctionnement ; des prises connectées qui font remonter les consommations d’énergie ; des terminaux qui mesurent et transmettent les signes d’activité des personnes âgées ; un portier vidéo et un carillon connectés destinés à remplacer les équipements traditionnels ; une solution de paramétrage de régulateurs sans contact via un smartphone…La marque reste néanmoins dans son cœur de métier et ne tente pas de lancer un nouveau wearable révolutionnaire. Ce sont ses gammes de produits traditionnels B2C et B2B qui sont simplement enrichies de solutions connectées.
Objet connecté : quel bénéfice est réellement perçu par le consommateur ?
Au final, qu’apprend-on à l’IFA en cette rentrée 2015 ? Le marché à peine émergeant des wearables autonomes est-il déjà en passe d’être submergé par une lame de fond ou chaque objet du quotidien va devenir subtilement intelligent ? La promesse du Smart home semble alléchante : rendre la vie de chacun plus simple et plus sûre tout en se fondant dans le quotidien. Mais en grattant un peu le vernis marketing et de la communication des marques ainsi que les prévisions hallucinantes des grands cabinets (ceux qui nous prédisent jusqu’à 80 milliards d’objets connectés dans le monde à horizon 2020) que reste-t-il vraiment? La croissance des marchés est faite et défaite par les consommateurs qui restent les seuls juges de paix.
Un bon objet c’est d’abord un objet qui enrichit le quotidien et répond à un besoin perçu.
Une étude réalisée par le GIFAM (groupement interprofessionnels des fabricants d’appareils ménagers) en février 2015 auprès d’un échantillon représentatif de la population française nous donne des éléments de réponse intéressants concernant le bénéfice perçu par le consommateur en matière d’électroménager connecté.
Qu’y apprend-on ? La vision qualitative des français vis-à-vis des objets connectés est concrète et loin du fantasme : pour une majorité, ils sont source de gain de temps, d’aide à la gestion, d’économie d’énergie et d’argent. Les principaux freins évoqués face aux objets connectés sont la perte d’autonomie et d’implication (« ça ne me fait plus réfléchir ») et l’inutilité « attention au gadgets » comme le grille-pain qui donne la météo ou la brosse à dent vérifiant la qualité du brossage. En tête des applications retenues figurent les dispositifs permettant gestion ou économies (détection des pannes, écran sur le frigo pour contrôler la durée de vie des produits, ou indicateur pour le gros électroménager sur la consommation mensuelle d’eau et d’électricité. En revanche, les applications permettant le déclenchement à distance (bouilloire, machine à laver ou à café) remportent le moins de suffrage car il existe déjà des fonctions de programmation sur de nombreux appareils.
Au global, 44 % des personnes interrogées dans l’étude voient ainsi un « plus » dans cette connectivité. Cela démontre un intérêt réel pour ces nouvelles technologies dans l’électroménager, mais il n’est pas encore massif.
Innovation sociétale ou évolution technologique ?
Peut-on qualifier de vague d’innovation majeure le mouvement actuel qui voit l’informatique et l’internet entrer au cœur de la plupart de nos objets du quotidien ? En fait il s’agit plutôt d’une évolution logique de la propagation de l’internet depuis 1990 et plus largement de l’informatique depuis 1960. Il fallait logiquement attendre que les capacités informatiques et électroniques (stockage, mémoire, réseaux, connexion) soient suffisantes et en place pour assister à cette vague massive d’interconnexion des objets. Si on rajoute effectivement de la valeur à des appareils existants, on n’assiste pas pour autant à des inventions majeures couplées à des ruptures énergétiques comme celles qui ont permis les révolutions industrielles des siècles passés basées sur les binômes Charbon/Chemin de fer, et électricité/moteur à combustion. Paradoxalement notre 3ème révolution industrielle (informatique/ internet) n’a jamais eu jusqu’alors un énorme impact économique. C’est la thèse de l’économiste américain Robert Gordon qui explique que « depuis l’an 2 000, les inventions sont centrées sur des appareils de loisirs et de communication (smartphone, ordinateur portable, consoles) qui sont plus petits et plus intelligents mais qui ne changent pas fondamentalement la productivité du travail ou les standards de vie comme l’ont fait la lumière électrique, la voiture où l’eau courante à l’intérieur des maisons. ». Chiffre révélateur : l’emploi cumulé des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) reste inférieur à celui du seul Général Motors pourtant en phase de déclin.
Innover ou périr : c’est désormais la loi qui frappe les grands groupes industriels.
Les choses pourraient néanmoins évoluer. L’interconnexion massive d’une multitude d’objets touche désormais un ensemble de secteurs majeurs (équipement de la maison, santé, agriculture, btp, construction mécanique). Elle va changer la donne au sein de grands groupes industriels qui participent désormais à un écosystème ouvert où innover prend tout son sens. Preuve en est : la majeure partie des grands groupes du CAC40 en France ont désormais leur propres laboratoires d’innovation internes (parfois plusieurs). Les processus d’idéation internes destinés à inventer les métiers de demain y deviennent désormais monnaie courante. Ces nouveaux acteurs tissent déjà de nombreux partenariats ou des contrats de sous-traitance avec des start-ups déjà installées ou des écoles d’ingénieurs et de design ce qui induit des créations d’emplois directs et indirects pour aujourd’hui mais aussi pour demain.
Si on n’assiste pas à une nouvelle révolution industrielle, l’interconnexion massive des objets va produire de vrais effets macro-économiques et prolonger à coup sûr les effets attendus de la révolution informatique/internet.
Brice Nadin . Digital Consult France. 13/09/2015
Sources et références :
- Digital Consult Blog : http://blogdigitalconsult.fr/?p=884
- OCDE : http://stats.oecd.org/Index.aspx?lang=fr
- Lesnumériques.com: http://www.lesnumeriques.com/refrigerateur/panasonic
- SmartThings : (http://www.smartthings.com/).
- Allseen Alliance : https://allseenalliance.org/about/members.
- Open interconnect consortium (OIC) : http://openinterconnect.org/
- L’Usine Digitale : http://www.usine-digitale.fr/article/legrand-accelere-dans-les-objets-connectes.N340747
- Gifam : www.gifam.fr
Science et vie hors série 05416 ; spécial High Tech : »industrie les nouvelles clés de la réussite » ; p. 106.